Le 23 novembre 1944, des soldats français de la 2e division blindée du général Leclerc entraient dans Strasbourg et libéraient la capitale alsacienne, une victoire militaire mais aussi symbolique. Au moment de célébrer le 80e anniversaire de la Libération, retour en images sur cette page historique.
Le 23 novembre 2024, la France célèbre les 80 ans de la Libération de Strasbourg par la 2e division blindée (2e DB) du général Leclerc et les troupes alliées. Une cérémonie sera présidée, ce samedi, par le chef de l’Etat Emmanuel Macron. Ce sera l’aboutissement de plusieurs mois de commémoration nationale, entamés au mois de juin avec les 80 ans du Débarquement en Normandie. La Libération de Strasbourg, le 23 novembre 1944, ne signifie pas pour autant celle de l’Alsace, puisque la poche de Colmar ne tombera qu’en février 1945, et il faudra attendre mai 1945 pour que Saint-Nazaire soit libérée, dernier territoire français où les Allemands ont rendu les armes. Mais délivrer Strasbourg du joug nazi, et par des soldats français, était un objectif symbolique incontournable pour le général De Gaulle, chef de la France libre.
Strasbourg et sa cathédrale, au coeur du serment de Koufra
La Libération de Strasbourg comme symbole se dessine en mars 1941, lors de la prise de Koufra, un fort en plein désert libyen, tenu par les troupes italiennes. Envoyé par le général De Gaulle, Leclerc signe la première victoire de la France libre et, devant ses hommes, fait ce serment entré dans l’histoire : “Jurez de ne déposer les armes que le jour où nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg”.
Avec l’occupation par l’Allemagne entre 1870 et 1918, puis l’annexion par les Nazis, “la portée symbolique de Strasbourg dans l’histoire de France et en particulier dans l’histoire militaire, est très forte”, rappelle le lieutenant-colonel Jean Bourcart, officier historien de l’armée de terre. “En même temps”, rappelle-t-il “Leclerc est issu d’une promotion de Saint-Cyr qui porte le nom de Metz et Strasbourg. Donc Strasbourg n’est pas inconnue dans le milieu historique au sens large, et en particulier au sein de la grande famille des militaires.”
En août 1944, Leclerc débarque en Normandie à la tête de la 2e DB, sous commandement américain. En août, il permet aux Français d’entrer les premiers dans Paris et veut renouveler l’exploit avec Strasbourg. Au-delà du symbole, la ville est bordée par le Rhin et la frontière allemande.
Que les Français libèrent la capitale alsacienne permettrait de marquer le coup face aux Allemands. Pour cela, précise le lieutenant-colonel Jean Bourcart, “toutes les opportunités ou les ruses sont bonnes pour, soit obtenir l’adhésion des Alliés, soit éventuellement forcer cette adhésion”. En effet, pour les Américains, l’objectif est plutôt de passer au Nord de Strasbourg, direction la région allemande de la Ruhr, coeur industriel du pays. Pour foncer vers Strasbourg, Leclerc va donc faire preuve d’audace.
“Tissu est dans l’iode” : les Français prennent Strasbourg
En novembre 1944, la campagne d’Alsace est lancée. La 1re Armée dirigée par le général de Lattre de Tassigny remonte du Sud, libère Mulhouse le 21 novembre. La 2e DB et les troupes américaines progressent par le Nord. Pour atteindre Strasbourg, Leclerc fait emprunter à ses hommes et à ses chars, non pas la route défendue par les Allemands, mais des chemins en pleine forêt, par une météo difficile. “Un coup de poker”, note le lieutenant-colonel Jean Bourcart, qui s’appuie sur la “vitesse d’exécution” et l’agilité d’une armée scindée en plusieurs groupements.
Le 22 novembre, la 2e DB campe aux portes de Strasbourg. Le 23 novembre, quatre colonnes de blindés se ruent sur la ville par quatre entrées différentes. L’armée de Leclerc bénéficie du fait que certains officiers connaissent Strasbourg pour y avoir servi. Elle tire aussi partie des renseignements fournis par des civils alsaciens.
Le lieutenant colonel Rouvillois du 12ᵉ régiment de cuirassiers, obtient ainsi d’un Alsacien des FFI (Forces françaises de l’intérieur) des informations sur les itinéraires entre Saverne et Strasbourg. Il rentre avec ses chars dans Strasbourg par le Nord. Vers 10 h 30, il est au cœur de Strasbourg et lance son le message “Tissu est dans l’iode”. Les Français de Leclerc sont dans Strasbourg.
Dans l’après-midi, Maurice Lebrun, du 1er régiment de marche de spahis marocains, grimpe sur la flèche de la cathédrale (à plus de 140 mètres de hauteur) pour y hisser le drapeau français. Un drapeau taillé par une charcutière de la place Saint-Etienne, Emilienne Lorentz, à partir d’un tablier bleu, d’un drap de lit blanc et d’un drapeau nazi rouge. La croix de Lorraine, symbole de la France libre, est dessinée sur le blanc du drapeau.
Les Allemands ont été pris de vitesse par l’attaque des Français. “L’État-major local ne croit pas beaucoup à la vitesse d’exécution. Ils savent évidemment que des ennemis sont de l’autre côté des Vosges, mais ils ne pensent pas qu’ils arriveront aussi vite à Strasbourg. Donc l’Etat-Major allemand à Strasbourg va rester dans une certaine forme de torpeur et de surprise permanente” commente le lieutenant-colonel Jean Bourcart.
Malgré l’effet de surprise, il y a des combats, notamment dans les anciens forts de la ceinture de Strasbourg, et des morts de part et d’autre. Parmi ces morts, le maréchal des logis Albert Zimmer, un Alsacien de la 2e DB, qui tente une percée à bord du char le Cherbourg. Touché par une grenade allemande, le char prend feu et Zimmer est tué, à quelques kilomètres de son village de La Wantzenau. Le char restauré a été installé dans le quartier du Port du Rhin, là où il a été visé.
Le 25 novembre, la garnison allemande capitule au Fort Ney. Le 26 novembre, le général Leclerc dirige une prise d’armes place Kléber. C’est la liesse. Le serment de Koufra a été tenu.
Strasbourg et l’Alsace, toujours sous la menace
Novembre 1944, “ce n’est pas du tout la libération de l’Alsace, ni même du Bas-Rhin”, confirme le lieutenant-colonel Jean Bourcart, “puisque les combats vont continuer bien après”. Le 2e DB se lance vers la poche de Colmar. Au sud de Strasbourg, près d’Erstein ou de Sélestat, il y aura d’autres combats violents.
Fin décembre, les Nazis lancent l’opération Nordwind, une contre-attaque qui menace Strasbourg. “Strasbourg comme d’autres villages du nord de l’Alsace aurait très bien pu être repris par les Allemands entre novembre 44 et mars 45”, rappelle l’historien militaire.
Le général De Lattre et la 1re Armée assurent la défense de la capitale alsacienne et des communes alentour. Les troupes américaines participent aux combats. Fin janvier, Strasbourg est définitivement sauvée. Le 20 mars 1945, l’Alsace est entièrement libérée.
Le sort des Malgré-Nous : une ombre sur la joie de la Libération
Non seulement la Libération de Strasbourg ne signifie pas celle de tout le territoire français, mais, même après mai 1945, de nombreux Alsaciens resteront séparés à cause de l’incorporation de force : 130.000 Alsaciens et Mosellans ont été forcés de combattre sous l’uniforme allemand, 30.000 sont morts ou disparus, et ceux qui ont été fait prisonniers sur le front de l’Est sont internés dans des conditions extrêmement dures par les Soviétiques. “Certains porteront le deuil ou cette inquiétude de nombreuses années après la libération de l’ensemble de la France et de l’ensemble du territoire alsacien”, rappelle l’historien de l’armée.
Cette histoire, c’est celle de Gérard Michel, fils et petit-fils de Malgré-Nous, président de l’association des orphelins de pères Malgré-Nous d’Alsace, une histoire dans laquelle se mêlent la joie et le drame. Ce Strasbourgeois, que France Bleu Alsace a rencontré, est né quelques semaines après la Libération de la ville. Son grand-père, cafetier à Schiltigheim, avait dû revêtir l’uniforme de la police allemande. “Le 23 novembre 1944”, raconte Gérard Michel, “il se rend au commissariat quand il croise un collègue allemand qui le prévient : ‘les Américains arrivent’. Il rentre à Schiltigheim, tous les copains faisaient la fête au bistrot. Il a brûlé son uniforme, et ‘tournée générale!’”
Mais le père de Gérard Michel, lui, avait fait partie d’une dernière fournée d’incorporés de force, enrôlé le 12 novembre, direction Weimar. Il ne reviendra jamais. “La chape de plomb est retombée sur l’Alsace assez rapidement après les premiers émois” commente Gérard Michel, des larmes dans la voix.
Pour aller plus loin :
- Voir : le site Mira (Mémoire des images réanimées d’Alsace) qui collecte et publie les vidéos des témoins qui ont filmé la guerre et la Libération. De nombreux événements sont organisés à l’occasion des 80 ans.
- Ecouter : l’émission “Autant en emporte l’histoire”, consacrée au Serment de Koufra
- Ecouter : le podcast “La Cavale du général Leclerc”, huit épisodes, dont l’un relate la Libération de Strasbourg
- Voir : au Musée Historique de Strasbourg, le fanion de la Sahariana di Cufra et le drapeau de la Libération de Strasbourg jusqu’au 12 janvier et, le 23 novembre, des lectures musicales de textes écrits par un soldat de la 2e DB et par une jeune Strasbourgeoise.