Libération de Paris. L’acte de reddition signé avec le stylo du Colmarien Alfred Betz
Le 28 juin 1943, le jeune Alfred s’engage dans les forces françaises libres, comme lieutenant et interprète à l’état-major de la 2e DB commandée par le général Leclerc. La division débarque le 1er août 1944 en Normandie et participe aux combats vers Le Mans avant de remonter vers Paris. Le jeudi 24 août, la division Leclerc entre dans Paris, avec l’accord de de Gaulle, qui avait obtenu d’Eisenhower que ce soit des Français qui libèrent la capitale. Le supérieur hiérarchique de Leclec, le général américain Gerow, en sera fou furieux…
La capitale est déjà libérée en grande partie par la résistance parisienne commandée par le militant communiste Rol-Tanguy, un des responsables des FFI (Forces françaises de l’intérieur). Mais la situation demeure critique. Hitler a prévu la destruction des ponts et des monuments de Paris ; plusieurs de ces sites ont été minés. Le 19 août, la préfecture de police a été prise aux Allemands par 200 policiers résistants. Le général Leclerc envoie un ultimatum au général d’infanterie Dietrich von Choltitz, commandant des forces allemandes de Paris, qui se trouve à son PC à l’hôtel Meurice.
L’hôtel est pris d’assaut le 25 août à 13 h. L’état-major allemand est fait prisonnier par les Français sous le commandement du lieutenant Henri Karcher, un Vosgien, qui convoie ensuite le général von Choltitz à la préfecture de Police dans une grande salle de billard. La suite est racontée par Thierry Betz, petit neveu d’Alfred Betz: « L’objectif est de lui faire signer la reddition de la garnison allemande de Paris et de ses environs. Un gars vient frapper à la porte, c’est Rol-Tanguy. Leclerc refuse qu’il entre au prétexte qu’il ne porte pas l’uniforme. Il y avait une guéguerre entre de Gaulle et les FFI ; le général aurait voulu que Leclerc libère Paris tout seul… Chaban Delmas [alors délégué militaire du gouvernement provisoire, NDLR] fait comprendre à Leclerc qu’il serait raisonnable de laisser entrer Rol-Tanguy qui est quand même le symbole de la résistance parisienne. Le général s’incline, mais refusera que le communiste appose sa signature sur l’acte de reddition. »
Il faut signer, mais… personne n’a de stylo!
C’est là que le Colmarien entre en jeu. On a besoin d’un traducteur, l’Alsacien sera l’homme de la situation pour traduire à von Choltitz le document qu’on lui demande de signer. « Mon oncle nous a raconté que le commandant ne voulait pas s’engager pour la partie de la région parisienne sur laquelle il n’avait pas de prise, mais Leclerc l’aurait contraint car il voulait une reddition globale pour démoraliser les poches de résistance autour de Paris. De Gaulle lui en aurait fait le reproche plus tard. C’est un militaire qui aimait les choses carrées. »
Voici l’heure d’apposer la signature qui marquera l’histoire. Mais aucun des deux généraux n’a de stylo. Alfred Betz propose le sien et le tend à von Choltitz, puis Leclerc. De cet épisode si capital, il n’est resté aucune trace car il n’y avait aucun journaliste dans la pièce. En revanche, peu de temps après, le général allemand est conduit à la gare Montparnasse, PC de Leclerc, pour y signer d’autres documents. C’est là que sera prise la photo où l’on voit von Choltitz, assis, en train d’apposer sa signature sur un document et un officier français en surplomb : Alfred Betz. À défaut d’images de la « réelle » signature à la préfecture, c’est celle-ci qu’utiliseront dorénavant les journaux pour illustrer la capitulation allemande à Paris.
Pour la petite histoire, le document sur l’image est une réclamation de l’Allemand pour pouvoir récupérer ses effets personnels, il y liste les affaires qu’il a laissées à l’hôtel Meurice. Rol-Tanguy est présent, pas Leclerc. Le premier aurait insisté pour signer un des documents (qui ne restera pas pour la postérité), ce qui fut fait. « Ça l’a calmé », rapporte Thierry Betz.
Thierry Betz, 69 ans , a bien connu son oncle, raconte-t-il. « Il était célibataire et aimait bien aller dans les familles de mon père, de ses neveux. Lors des repas de famille, il parlait beaucoup de la guerre en donnant beaucoup de détails. On a appris par exemple qu’après la libération de Strasbourg, à laquelle il participait, il a été parmi les premiers Français à entrer dans le nid d’aigle. Il avait ramené un peu de vaisselle de Hitler, un peu comme des trophées. » Mais la famille, très francophile, n’a jamais mangé dedans. Et le butin s’est perdu au gré des déménagements.
Au musée de l’Ordre de la libération de Paris depuis le 2 juillet 2024.
Ce qui ne s’est pas perdu en revanche, c’est le fameux stylo. « Mon oncle l’a conservé jusqu’à peu avant son décès. Il l’a remis ensuite à un de ses neveux, Gilles Betz, qui est décédé ; son épouse, Marie-Odile Betz, l’a récupéré. » Les deux cousins, qui habitent Paris, se demandent qu’en faire. « Comme ça n’intéressait pas la génération suivante, ma fille s’en fiche, ses enfants aussi, on a décidé d’en faire don à un musée. » Ce ne sera pas le musée Unterlinden, « il aurait été encombré avec ça », mais le musée de l’Ordre de la libération de Paris.
La remise s’est déroulée le 2 juillet 2024 pour anticiper la commémoration de la libération de Paris à venir. « Le stylo a été nettoyé et remis en état par une restauratrice. On peut désormais le voir dans une vitrine de la salle consacrée à la libération de Paris, avec un scan d’un tirage argentique de la photo resté dans la famille. « Pour Marie-Odile et moi, c’était une manière de rendre hommage à notre oncle que son stylo ait une place digne et pérenne. Sinon, il aurait fini par se perdre comme la vaisselle de Hitler ! »
Le 2 février 1945, Alfred Betz est le premier officier français colmarien à rentrer dans sa ville natale libérée. Il est officier de la Légion d’honneur, croix de guerre 1939/45, croix du Combattant volontaire de la Résistance. Après la guerre, il a repris son travail d’avocat ; il était l’associé de Gérard Cahn. « Tous les deux ont insufflé un vent de modernisme au musée Unterlinden », conclut son petit-neveu.